Source : Les Affaires
Après la Saskatchewan, l'Alberta et le Manitoba, le Québec va bientôt expérimenter un nouveau type de service de télévision : la télévision sur protocole Internet (IP).
Bell Canada et TELUS prévoient lancer cette année ce service, qui permettra de se débarrasser des encombrantes soucoupes satellites et de bénéficier de la vidéo sur demande (VSD), jusque-là réservée aux seuls abonnés du câble.
Mais qu'on ne s'y trompe pas. La télévision sur IP ne signifie pas regarder sur l'écran de son ordinateur des séries téléchargées sur Internet. Les signaux de télévision sont certes transmis par le réseau de fils de cuivre des deux opérateurs, réseau qui sert aussi à transmettre les données Internet, mais ces signaux sont ensuite décodés et transmis au téléviseur par un récepteur connecté à la prise téléphonique.
Ce récepteur ressemble à s'y méprendre aux récepteurs numériques satellites ou câble.
Contre-attaquer les câblos
Bell devrait être la première au Québec à lancer un service de télévision sur IP, d'ici six mois, selon plusieurs analystes. "En ce qui concerne TELUS, je m'attends davantage à un lancement vers la fin de l'année", dit Brian Sharwood, analyste en télécommunications au SeaBoard Group. "TELUS, qui offre déjà ce service à Calgary et à Edmonton, déploiera son offre en Colombie-Britannique avant le Québec."
La télé sur IP devrait apporter une aide appréciable à ces deux opérateurs, dans leur lutte contre les câblodistributeurs. Ce service permettra à Bell d'aller chasser davantage sur les terres de son rival québécois, Vidéotron, la télévision, avec de nouvelles armes.
Depuis son lancement, son service Bell ExpressVu a du mal à s'imposer auprès des résidents d'immeubles à logements multiples, compte tenu de la réticence de certains propriétaires et de certaines municipalités à voir proliférer des antennes, sans compter les problèmes de réception.
En outre, Bell ExpressVu ne permet pas à Bell d'offrir à ses abonnés de manière adéquate la VSD, un service en pleine croissance déjà offert avec succès par Vidéotron.
Pour TELUS, la télé sur IP pourra enfin lui permettre de proposer à ses abonnés une offre complète de service, de télécommunications englobant télévision, Internet et téléphonie résidentielle et sans fil.
Une amélioration du réseau nécessaire
Pour faire passer des signaux de télévision, les opérateurs n'ont pas d'autre choix que d'améliorer leur réseau.
"L'opérateur doit pouvoir transmettre en continu un flot de données à 4 Mb/s, juste pour ces signaux", explique en entrevue téléphonique Bob Larribeau, analyste de Multimédia Research Group (MRG), un spécialiste californien de la télévision sur IP.
Or, avec les réseaux actuels de Bell et de TELUS, de tels débits ne sont possibles que pour un certain nombre d'abonnés, qui habitent près du central de l'opérateur. La technologie actuelle offre un débit pouvant aller jusqu'à 8 Mb/s, mais ce débit s'atténue rapidement et, au-delà de 2 km, il n'atteint que 2-3Mb/s, dont la majeure partie est d'ailleurs consacrée à Internet.
Bell et TELUS doivent donc "rapprocher" les maisons des particuliers du central, en installant, par exemple près de ces résidences, de la fibre optique, capable de transmettre plus de données sur une plus grande distance, sans perte de débit, ou presque. L'objectif de Bell est d'offrir de plus grands débits à 4,3 millions de foyers - soit 85 % des foyers urbains dans le corridor Québec-Windsor, d'ici la fin de 2008. Bell prévoit réaliser la moitié de cet objectif cette année. TELUS n'a pas dévoilé son plan en détail.
Parallèlement, les deux opérateurs comptent passer de l'ancienne technologie ADSL à une nouvelle : l'ADSL2+ pour TELUS et VDSL pour Bell. L'ADSL2+ permet d'obtenir des débits de 15 Mb/s, tandis que le VDSL permet d'en obtenir de 25 Mb/s et plus.
"Le VDSL permet de transmettre des signaux télé haute définition, un avantage pour les opérateurs dans l'avenir", remarque M. Larribeau. "Avec ADSL2+, nous avons aussi la possibilité de grimper jusqu'à 30 Mb/s", tient à préciser Éric Bourbeau, le responsable du projet de télévision sur IP chez TELUS Québec.
Le Québec en retard par rapport à l'Europe et à l'Asie
En matière d'offre de télévision sur IP, le Québec est en retard par rapport à l'Europe et à l'Asie. L'entreprise hongkongaise PCCW a lancé son service de télévision sur IP en 2003 et compte désormais plus de 500 000 abonnés. En Europe, les deux entreprises leaders, l'italienne Fastweb et la française Free, ont dépassé le cap des 130 000.
"En Amérique du Nord, Saskatchewan Telecommunications [Saskatel] et Manitoba Telecom Services sont présentes dans ce marché depuis 2002 et 2003", dit M. Sharwood. Saskatel compterait aujourd'hui 52 000 clients, tandis que Manitoba Telecom a conquis quelque 35 000 personnes depuis 2003.
Le marché de la télévision sur IP est appelé à exploser au cours des prochaines années, selon MRG. Le nombre mondial d'abonnés à l'IP-TV devrait passer de 3,7 millions aujourd'hui à 36,9 millions en 2009. Les revenus pour les opérateurs devraient grimper de 880 M$ US à 9,9 G$ US.
LE DILEMME BELL EXPRESSVU
Après le lancement de son service de télévision sur IP, Bell offrira deux services télé qui se concurrenceront et qui utiliseront deux réseaux différents.
Bell fait face à un cruel dilemme, remarque Brahm Eiley, président de l'entreprise de recherche de Toronto Convergence Consulting Group. "Va-t-elle continuer à investir dans son réseau satellite, alors que tous ses autres services transiteront sur l'autre réseau [le réseau IP terrestre] ?, s'interroge M. Eiley. Je ne le pense pas".
M. Eiley, tout comme d'ailleurs Iain Grant du SeaBoard Group, estime que le service de satellite de Bell ExpressVu ne devrait pas croître et pourrait même disparaître à moyen terme.
LES AVANTAGES DE LA TÉLÉ SUR IP
Selon Bob Larribeau, analyste de Multimedia Research Group, la télévision sur IP présente un avantage certain sur les offres concurrentes.
Question satellite, outre ne plus avoir besoin d'antenne à nettoyer après les tempêtes de neige, les utilisateurs de la télévision sur IP vont pouvoir bénéficier de service de vidéo sur demande (VSD). "La télévision sur IP permet aussi de fournir un tel service à tous les abonnés en même temps, dit M. Lorribeau, alors qu'avec la technologie du câble déployée en Amérique, seulement 10 % des abonnés d'un câblodistributeur peuvent l'avoir simultanément."
Autre avantage, selon M. Lorribeau, il n'y a pas de limite au nombre de chaînes pouvant être transmises aux usagers avec la télévision sur IP, contrairement à ce qui se passe avec la télévision par câble. "Enfin, cette technologie permet à moyen terme d'offrir des services interactifs poussés", ajoute l'analyste californien.
Pendant qu'il regarde son émission, un abonné à la télévision, à l'Internet et à la téléphonie sur IP pourrait voir s'afficher le nom et le numéro de téléphone d'un ami qui tente de le contacter, ou encore être averti de l'arrivée d'un nouveau courriel.
La télévision sur IP va également permettre d'afficher sur les images principales d'une chaîne plusieurs petites lucarnes contenant des images d'autres caméras que la caméra principale. "Des images de l'arrière des buts, du banc ou des tribunes pourraient s'afficher en surimpression du match de hockey", remarque M. Lorribeau.